Dans le monde
Charles Gardou – anthropologue et professeur des universités spécialisé dans les questions relatives au handicap – dans son livre « La société inclusive, parlons-en ! », mentionne le premier rapport sur le handicap réalisé par l’Organisation Mondiale de la Santé en 2011. Après avoir rappelé que, sur une population mondiale de 7 milliards, on compte 1 milliard de personnes en situation de handicap, il estime que, si on prend en considération leur famille, c’est plus d’un tiers de l’humanité qui est touché – directement ou indirectement – par le handicap. Comment ne pas se sentir concerné quand on sait, de surcroît, que l’augmentation de l’espérance de vie conduira chacun d’entre nous à vivre en situation de handicap quelques années de notre vie, voire davantage ?!

Selon l’Organisation des Nations Unies, 650 millions de personnes, soit environ 10 % de la population mondiale, vivent avec un handicap. Ils constituent la plus large minorité au monde. En ce qui concerne le handicap visuel, en vision de loin, 217 millions de personnes présentent une déficience visuelle modérée à sévère, tandis que 36 millions sont atteintes de cécité. [Bourne RRA, Flaxman SR, Braithwaite T, Cicinelli MV, Das A, Jonas JB, et al.; Vision Loss Expert Group. Magnitude, temporal trends, and projections of the global prevalence of blindness and distance and near vision impairment: a systematic review and meta-analysis. Lancet Glob Health. 2017 Sep;5(9) : e888–97]
Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), 386 millions de personnes en âge de travailler sont handicapées. Pour elles, le chômage atteint 80 % dans certains pays. Les disparités sont très importantes selon les pays. Les employeurs tiennent souvent pour acquis que les personnes handicapées sont incapables de travailler.
Une étude américaine de 2004 établit que 35 % seulement des personnes handicapées en âge de travailler trouvent un emploi, contre 78 % de celles qui ne sont pas handicapés. Deux tiers des chômeurs handicapés interrogés déclarent qu’ils aimeraient travailler mais n’arrivent pas à trouver un emploi
Une enquête menée aux Etats-Unis auprès des employeurs, en 2003, révèle que le coût des aménagements du poste de travail des personnes handicapées ne dépasse pas 500 dollars ; 73 % des employeurs rapportent qu’aucun aménagement n’a été nécessaire pour leurs employés.
En France
Selon les sources disponibles et leur date de publication, les chiffres peuvent varier, mais ils présentent tous les mêmes tendances et suscitent les mêmes interrogations.
12 millions de français environ (sur 66 millions) sont touchés par un handicap.
80 % ont un handicap invisible.
Entre 1,5 et 1,7 million sont atteints d’une déficience visuelle et 850 000 ont une mobilité réduite.

Selon l’INSEE, il y a 9,6 millions de personnes handicapées au sens large, c’est-à-dire des personnes reconnues handicapées administrativement, personnes qui déclarent avoir un problème de santé depuis au moins six mois et rencontrer des difficultés importantes dans leur activité quotidienne ou avoir eu un accident du travail dans l’année.
Le taux d’emploi global des personnes handicapées reste nettement inférieur à celui de l’ensemble de la population active (35 % contre 65 %). Cette situation s’explique par un taux d’activité plus faible (44 % contre 71 %) et un taux de chômage qui est le double de celui de l’ensemble de la population active (21 % en 2011). Meriam Barhoumi, dans une analyse publiée en 2017 (« Travailleurs handicapés : quel accès à l’emploi en 2015 ? » DARES Analyses, mai 2017 n° 032), relève que le taux d’activité des personnes ayant une reconnaissance de leur handicap, en 2015, est 1,5 fois moins élevé que celui de l’ensemble de la population en âge de travailler (43 % contre 72 %). Le taux de chômage de cette population est presque deux fois plus élevé que dans l’ensemble de la population active (19 % contre 10 %). Et, même si le gouvernement s’est félicité, en mars 2020, d’une baisse du taux de chômage entre 2018 (17 %) et 2019 (16 %), la tendance reste inchangée, puisqu’il est toujours, globalement, le double du taux de chômage de l’ensemble de la population active (8,1 %). Quels seront les chiffres après la crise relative au COVID-19 en 2020 ?!

En ce qui concerne les personnes atteintes d’une déficience visuelle, la situation est encore plus critique. En 2007, Gilbert Montagné, dans son rapport à Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, rappelle que « quatre aveugles sur cinq vivraient des prestations sociales ». La Fédération des Aveugles et Amblyopes de France annonce, dans un dossier de presse, dans le cadre de la « Semaine Européenne pour l’Emploi des Personnes Handicapées » du 16 au 22 novembre 2015, que « 50 % des personnes déficientes visuelles sont au chômage ». Elle étaye ses propos en faisant référence à un rapport d’enquête qu’elle a sollicité auprès de Bruno Gendron, maître de conférences à l’Université d’Orléans (Laboratoire d’Économie).

Même si les actions positives en faveur des personnes handicapées ne sont pas l’objet direct de mon analyse, il est, néanmoins, instructif de relever que les pouvoirs publics favorisent, par un certain nombre de mesures et dispositifs, la participation sociale des personnes handicapées, notamment par leur insertion professionnelle. Leur présentation sommaire permet de mesurer, à la fois, les efforts entrepris et les limites qui perdurent plus de trente trois ans après leur mise en œuvre.
La loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés instaure, pour les entreprises de plus de 20 salariés, l’obligation d’employer 6% d’entre eux. La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 vient renforcer cette mesure en l’étendant à la fonction publique. Une contribution financière des employeurs est exigée si le quota n’est pas atteint.
Or, il est évident que les objectifs ne sont pas atteints. En 2017, 489 100 travailleurs handicapés sont employés dans les 103 700 établissements assujettis à l’obligation, soit un taux d’emploi direct de seulement 3,5 %, le même qu’en 2016.

Cette moyenne recouvre, évidemment, de fortes disparités. Je me suis concentré sur les données relatives à la fonction publique, notamment celles qui concernent le ministère de l’éducation nationale (« Premier employeur de France » avec environ 1,1 million d’agents), d’une part, pour vérifier que le prescripteur de ces mesures – l’Etat, montre l’exemple, d’autre part, parce que j’exerce mes fonctions à l’Education Nationale depuis bientôt trente ans et que je suis convaincu que notre Ecole doit incarner les valeurs qui fondent notre société, notre République, tant pour les élèves qu’elle accueille, que pour les personnels qu’elle recrute.
Les travailleurs handicapés dans la fonction publique et à l’Education Nationale
L’évolution du taux moyen d’emploi légal dans la fonction publique est passé de 3,74 % en 2006 et 5,79 % en 2019. Mais, des écarts relativement importants perdurent entre la fonction publique de l’Etat (4,87 %), la fonction publique territoriale (6,94 %) et la fonction publique hospitalière (5,93 %).

Les statistiques sur l’emploi des personnes handicapées dans la fonction publique sont assez limitées et éparses, mais suffisantes pour constater que le prescripteur – l’Etat – n’est pas au rendez-vous. Parmi les trois fonctions publiques, il détient le taux d’emploi légal le plus faible (4,87 %). En outre, si on tient compte de l’ « emploi direct » – qui est plus proche de la réalité, le résultat est encore moins satisfaisant. En 2017, par exemple, le taux d’emploi légal [1] dans la fonction publique de l’Etat est de 4,52 %, alors que le taux d’emploi direct [2] n’est que de 4,24 %. Enfin, les bénéficiaires de l’obligation d’emploi prévus par la législation ne relèvent pas tous du handicap. La catégorie statistique retenue n’est donc pas en totale adéquation avec la politique d’emploi des personnes en situation de handicap ; par exemple, les veuves de guerre font partie des Bénéficiaires de l’Obligation d’Emploi.
[1] Taux d’emploi légal : rapport entre le nombre de bénéficiaires de l’obligation d’emploi + nombre d’unités déductibles et l’effectif total rémunéré. Peuvent donc être incluses les dépenses déductibles [ex : contrat de prestation avec des Etablissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT)]
[2] Taux d’emploi direct : rapport entre le nombre de bénéficiaires de l’obligation d’emploi (BOE) et l’effectif total de l’entité employeur.
Au sein de la fonction publique d’Etat, quelques administrations ont des résultats qui demeurent anormalement faibles. C’est le cas du ministère de l’éducation nationale (MEN) – plus gros employeur avec 1 132 719 agents en 2018 – dont le taux oscille, ces dernières années, autour de 3 %. Dans sa brochure « EMPLOI ET HANDICAP : LA POLITIQUE MINISTÉRIELLE », la Direction Générale des Ressources Humaines (DGRH) du MEN mentionne les chiffres de 2010 (1,21 %) et de 2011 (1,54 %) en les nuançant. Elle invoque « la réticence des agents à se déclarer » (sic). En 2012 et 2013, ces taux sont, respectivement, de 2,16 % et 2,56 %. Les chiffres de l’enquête 2013 de recensement des Bénéficiaires de l’Obligation d’Emploi (BOE) par la Mission à l’Intégration des Personnels Handicapés (MIPH) de l’éducation nationale pour l’année 2012 font apparaître un taux d’emploi direct toujours très faible : 1,58% pour l’ensemble de l’éducation nationale. Si on y ajoute les contrats aidés, on atteint un taux global de 1,81%. Le seuil des 3 % est atteint en 2013, mais seulement parce que les effectifs de l’enseignement supérieur sont alors comptabilisés séparément. En 2015, le taux d’emploi légal est de 3,30 %, de 3,59 % en 2016 et de 3,62 % en 2017. En tout état de cause, on est toujours loin des 6 % fixés par la loi !

Les explications avancées par le ministère de l’éducation nationale sont inconsistantes, partiales et, donc, peu convaincantes. Elles mettent en exergue les effets (« la réticence des agents à se déclarer ») plutôt que les causes (l’inefficacité relative de la mise en œuvre de sa politique de l’emploi des personnes en situation de handicap). Dans le guide pratique diffusé par la DGRH, cette dernière relève, à juste titre, que « les recrutements ne constituent pas un levier suffisant pour atteindre les 6 %. […] Elle rappelle que 70 % des personnes handicapées actuellement en poste n’étaient pas porteuses d’un handicap au moment de leur recrutement. C’est donc bien parmi cette population que la marge de progression est la plus importante. » Cependant, il ne suffit pas de communiquer, de sensibiliser, d’inciter à se déclarer comme personnel handicapé, pour améliorer ce taux. Il faut que les mesures soient ambitieuses, efficaces et, surtout, appliquées. Il faut que chaque personne soit considérée dans sa situation particulière, selon son environnement, ses besoins et ses compétences.
direct de la FPE hors enseignement est de 5,55 %, alors qu’il n’est que de 4,49 % enseignement compris. Pour atteindre cette moyenne de 5,55 %, le MEN devrait réussir à augmenter son taux (3,62 %) d’environ 2 points, ce qui correspond à environ 21 000 personnes.

Le Journal du Dimanche, dans son édition du 29 août 2015, titre « L’Education Nationale, le boulet Handicap de l’Etat ». Il rappelle, tout d’abord, que le taux de 3,03 % n’est atteint en 2013, à l’Education Nationale, que parce que le mode de calcul a changé. « Les personnels de l’enseignement supérieur ne sont plus comptés. […] Sans ce ministère, qui pèse plus de 25 % de la fonction publique, le secteur public aurait un taux d’emploi de personnes handicapées qui se rapprocherait des 6 % prévus par la loi du 11 février 2005. »
Le Défenseur des Droits, quant à lui, en 2015, sans distinguer selon les ministères, estime que « par rapport au secteur privé, la fonction publique n’est plus considérée comme plus protectrice contre les discriminations. […] L’état de santé est, en 2014, le deuxième motif de saisine du Défenseur des droits dans l’emploi public (18 %), derrière le sexe (22 %), et avant le handicap (14 %). » Les items « santé » et « handicap » représentent, cette année-là, 32 % des motifs de saisine, soit un cas sur trois. Il relève également « la trop grande inertie de l’employeur public à l’égard des discriminations fondées sur l’état de santé et le handicap ». Il estime que les procédures dans lesquelles sont engagés les agents publics atteints par une pathologie ou un handicap sont souvent longues et complexes. « L’inaction et le manque de réactivité de certains employeurs publics, tend à aggraver considérablement la situation [de ces personnes] et constitue une source de discriminations inacceptables. » Il ajoute que « l’emploi demeure de loin le premier domaine concerné par des discriminations ». Dans son rapport publié en 2020, il souligne que le handicap reste le principal motif de discrimination (22,7 %) pour la troisième année consécutive.

Dans son rapport de 2013 (p. 52), la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur estime que « les problématiques d’accueil des enseignants handicapés dans les établissements sont moins nombreuses que celles des élèves et étudiants, mais elles sont plus difficiles, parce qu’elles obligent à un réel changement de mentalité ». Elle cite également un certain nombre de situations de médiation qui dénotent « la difficulté de l’institution à gérer des situations de handicap et, parfois, sa frilosité à appliquer la loi ». Elle s’interroge notamment sur la question de savoir si les moyens qu’elle se donne sont en adéquation avec son obligation d’emploi des personnes en situation de handicap. Dans le rapport 2018, plus de 60 pages sont consacrées aux personnels en situation de handicap. Il évoque, notamment, la nécessité d’une prise en charge plus transparente et plus humaine, la réticence à déclarer son handicap, le labyrinthe des procédures médicales et administratives, des conditions d’accueil qui peuvent être déficientes, le handicap invisible comme réalité parfois suspectée… Tous les rapports du Médiateur peuvent être téléchargés sur le site du Ministère de l’Education Nationale.
En juin 2018, Dominique Perriot, alors président du comité national du Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP) pense que « le chemin à parcourir est encore long ». Les 510 000 chômeurs en situation de handicap, nécessite de renforcer la politique mise en œuvre. Il faut, certes, favoriser leur accès au monde du travail, mais « surtout les maintenir dans l’emploi ». Il appelle de ses vœux « une société plus ouverte et inclusive pour tous ».

Quant à moi, je pense – comme Henri-Jacques Stiker – qu’ “aujourd’hui, ce n’est pas la quantité des droits qu’il faut augmenter mais leur effectivité”.
