Depuis de nombreuses années, la “politique handicap” fait partie des engagements forts de l’Etat français. Emmanuel Macron, Président de la République, a rappelé à plusieurs reprises qu’elle fait partie des priorités de son quinqennat. Comment se traduit-elle au sein du Ministère de l’Education Nationale, plus gros employeur de France avec 1 132 719 agents recensés en 2018 ?
Une communication ambitieuse

La première manière – et la plus simple – d’avoir un aperçu de la politique du ministère de l’éducation nationale (MEN) en matière d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap est de consulter son site. Dans l’ancienne version (jusqu’en 2019), dès la page d’accueil, sur le bandeau latéral droit, apparaissait le logo officiel sur le handicap.

étaient directement accessibles dès la page d’accueil
D’emblée, on constate, alors, que la politique « handicap & emploi » du MEN est clairement affichée et facilement accessible, au même titre que celle des élèves en situation de handicap.

Depuis le changement du design du site du ministère, l’information ne figure plus en page d’accueil, même si une étiquette discrète permet d’accéder aux articles relatifs au handicap. Il faut d’abord activer, dans le menu, l’onglet « Métiers et ressources humaines », puis la rubrique « Santé-Social ». Dans le bloc « Services RH », la rubrique « Handicap, tous concernés » est alors présente. Moins rapide, moins direct, mais encore assez facilement accessible !

Il faut déclarer son handicap !
Dans l’ancienne version, la page s’ouvre d’emblée sur un titre qui peut laisser supposer que la déclaration du handicap fait partie des priorités que s’est fixées le ministère de l’éducation nationale : « Déclarer son handicap, ce n’est pas rien, mais ça change tout». Dans la version 2020, la formule a disparu. Sont ensuite proposées six sous-rubriques qui restent identiques pour l’essentiel.

1°/ “Le handicap, C’est quoi ?” donne les informations essentielles sur le handicap et les bénéficiaires de l’obligation d’emploi. Quelques données générales chiffrées illustrent le situation en France. Il serait intéressant qu’elles soient mises à jour chaque année – ou tous les trois ans.
2°/ “Le handicap, Vos droits ?” présente de façon synthétique les « avantages » liés à la déclaration du handicap et à la reconnaissance de l’obligation d’emploi : un accès facilité à l’emploi ; des aménagements qui permettent de maintenir le personnel handicapé dans son emploi ; la possibilité d’une assistance humaine…
3°/ Dans la version antérieure du site, cette troisième partie s’intitule « Comment Se déclarer ? ». En 2020, on lui préfère la formule « Faites valoir vos droits ». Mais le contenu ne diffère pas : il renseigne sur la procédure à suivre pour obtenir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Il rappelle ensuite la simplicité de la procédure auprès de son employeur en insistant sur le caractère volontaire et confidentiel de cette démarche. Enfin, il donne accès au formulaire de déclaration.

4°/ “Contact ?“ regroupe les coordonnées des correspondants handicap. Dans la version en cours en 2020, le titre est « Le handicap, les correspondants ».
5°/ “Mieux comprendre le handicap“ est la partie la plus riche d’informations. Elle aborde la question du handicap sous tous les angles. C’est un outil très complet et très utile, tant pour l’employeur que pour les agents en situation de handicap. Ces éléments ont également été regroupés dans un « Guide Pratique » de 44 pages qui peut être téléchargé au format PDF. Le premier volet présente la politique ministérielle et le cadre légal ; le deuxième vise à mieux connaître les handicaps, adapter son comportement et accompagner l’apparition du handiccap en cours de carrière ; le troisième est consacré à l’accueil et au recrutement des personnes en situation de handicap ; le dernier traite des droits des personnes handicapées et de leur déclaration.
6°/ La sixième et dernière rubrique « Centre de ressources » donne accès à des outils pratiques : le formulaire de déclaration, le guide pratique mentionné ci-dessus, et des affiches de sensibilisation. Avant 2020, des vidéos-témoignages mettaient en scène des personnes qui présentaient les bienfaits relatifs à la déclaration de leur handicap,

Comme une antienne
Quelle que soit la manière d’aborder les pages du site, on aboutit à une invitation, une incitation claire – voire lourde et maladroite – des personnels en situation de handicap à se déclarer. Trois affiches sur quatre traitent de cette question.

En 2019, sur le site du Ministère de l’Education Nationale et celui de l’Enseignement Supérieur, onze vidéos étaient accessibles qui véhiculaient ce message. Six d’entre elles le faisaient de façon très explicite (« C’est simple ! », « C’est une force ! », « C’est déjà fait ! », « Ça pourrait aider d’autres personnes à se déclarer ! »). En 2020, ces vidéos ne sont plus présentes. Au moment où je rédige ce texte, seules deux d’entre elles sont encore accessibles : la première mise en ligne par le Ministère de l’Enseignement Supérieur le 23 octobre 2017.

La seconde tweetée par le Ministère de l’Education Nationale le 3 février 2017.

Le guide pratique – dès la deuxième page et en gros caractères – reprend, comme une antienne : « Déclarer son handicap, ce n’est pas rien, mais ça change tout ». Il précise que, « bien sûr, on se déclare d’abord pour soi, […] mais la déclaration du handicap touche aussi au collectif. […] Chaque nouvelle déclaration est un pas de plus pour changer les mentalités et faire avancer les choses… »
Confondre la cause et l’effet
Le choix esthétique des vidéos-témoignages est discutable. La forme desservait le fond : le cadre kitsch confinait au surréalisme, à l’irréel des situations et les discours reconnaissants étaient surjouées… Mais ce qui prête surtout à discussion, voire à contradiction, c’est l’affirmation péremptoire que l’augmentation du nombre de déclarations fera changer les mentalités. Il est bien plus vraisemblable que c’est l’évolution des mentalités, du regard porté sur le handicap, qui entraînera des déclarations plus nombreuses dans un climat plus serein. Mais, en tout état de cause, le message a le mérite d’être clair : « Il faut se déclarer et tout ira mieux ! » Que ce soit pour des raisons esthétiques ou pour le bien-fondé et la pertinence de cette communication, il est heureux que ces vidéos aient été supprimées. Cependant, le « slogan » demeure et invite toujours à ne pas hésiter à déclarer son handicap, sans doute, en partie, pour atteindre l’objectif des 6 % de travailleurs handicapés fixés par la loi.

L’Ecole de la confiance
Une personne touchée par un handicap en cours de carrière est donc, a priori, rassurée, confiante en consultant l’ensemble de ces informations. Nonobstant les réserves relatives à la nécessité de rendre la législation française conforme à la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées (CIDPH) et malgré la méconnaissance de ce texte (sur lesquelles je reviendrai dans un prochain article), la campagne de communication peut être considérée comme complète ou, pour le moins, ambitieuse. Elle peut convaincre que le cadre juridique et institutionnelle offre les garanties du maintien dans l’emploi d’un personnel handicapé..
Un slogan efficace pour le maintien dans l’emploi ?
Tout semble avoir été prévu pour garantir les droits des agents qui ont à faire face à l’apparition du handicap en cours de carrière. Ces “protections” sont d’autant plus nécessaires que, comme le rappelle le ministère, « 70 % des agents actuellement en situation de handicap ne l’étaient pas lors de leur recrutement ». Conformément à la réglementation, il rappelle que la première question à se poser est de savoir s’il est possible d’aménager le poste pour compenser le handicap. Ce n’est que si l’aménagement est impossible qu’on pourra envisager d’affecter l’agent concerné sur un autre emploi du même grade. Si l’une et l’autre de ces hypothèses sont incompatibles avec l’état de santé de l’agent, le comité médical est alors consulté pour donner son avis sur un éventuel reclassement professionnel. Ce n’est que si l’administration n’est pas en mesure de proposer un poste de reclassement ou si l’agent est déclaré totalement et définitivement inapte à toutes fonctions que la mise à la retraite pour invalidité est envisagée. Ce qui est prévu par le MEN est bien en adéquation avec ce que la législation et la jurisprudence ont édicté.
Il est précisé que la loi du 11 février 2005 a fixé des obligations pour l’employeur. Il est tenu de « prendre les mesures appropriées pour permettre aux agents en situation de handicap de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer et d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée ».
A plusieurs reprises, il est rappelé que la coordination des rôles et interventions des acteurs essentiels de la politique du handicap au sein de l’éducation nationale est déterminante.
. la Mission à l’Intégration des Personnels Handicapés (MIPH)
. le délégué ministériel à l’emploi et à l’intégration des personnes handicapées
. le directeur des ressources humaines académique
. le correspondant handicap
. le médecin de prévention et/ou le Comité Médical
. le Fonds pour l’’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP)
Une définition restrictive des aménagements de poste
En revanche, le ministère présente une définition assez restrictive des aménagements de poste, même s’il concède qu’il est possible d’y inclure des « aménagements horaires » (ex : aménagement de l’emploi du temps). La liste qu’il présente comporte des éléments purement techniques (ordinateurs, micro, synthèse vocale, terminal braille, scanner, logiciel d’agrandissement, mobiliers adaptés…). Même s’il ne l’écarte pas, il ne s’approprie pas la conception large, souple et « téléologique » des « aménagements raisonnables » du droit international ou des « mesures appropriées » de la législation nationale. A ce propos, on peut regretter que ni le droit européen, ni la CIDPH ne soient mentionnés par le ministère dans sa présentation du cadre légal, alors que – j’y reviendrai une autre fois – l’Etat français doit le réviser dans sa totalité afin d’assurer sa pleine conformité avec le droit international.
Quoi qu’il en soit, il est indispensable de rappeler que, dans l’esprit du législateur, le principe d’aménagements raisonnables (ou mesures appropriées) est un élément consubstantiel du principe de non-discrimination. « De tels aménagements raisonnables permettent de corriger les inégalités factuelles qui, ne pouvant être justifiées, constituent une discrimination » (Cour EDH, 23 févr. 2016, CAM c. Turquie, n°51500/08). Ils dépassent donc, évidemment, le cadre des simples aménagements ergonomiques du poste de travail.
Le Défenseur des Droits estime qu’ « en figeant les possibilités d’aménagements, toute liste fermée serait contraire à la notion même de « mesures appropriées » qui suppose des réponses adaptées aux situations concrètes de travail, par nature différentes, aux capacités propres à chaque personne »(Guide Défenseur des Droits « Emploi des personnes en situation de handicap et aménagement raisonnable », décembre 2017). Il est donc admis que des aménagements « organisationnels » soient des aménagements du poste de travail : travail à domicile ou télétravail, assistance humaine, assistant personnel ou professionnel (ex : interprète LSF), tuteur, travail en binôme, aménagement du temps de travail sous la forme d’un travail à temps partiel par exemple, aménagement des horaires de travail, adaptation des règles générales en matière de mobilité, affectation sur un poste géographiquement proche du domicile… Même des mesures ayant une incidence éventuelle sur les autres personnes sont tout à fait concevables : restructuration des équipes, répartition des tâches au sein d’une équipe (ex : confier certaines tâches que la personne handicapée ne peut effectuer à un ou plusieurs autres collègues)…

Un Plan pluriannuel
L’ensemble de ces informations est issue de la réglementation en vigueur, mais aussi de la politique « handicap » élaborée par le ministère de l’éducation nationale. Elle est retranscrite dans le guide pratique, mais elle a d’abord été formalisée dans un document intitulé « Plan pluriannuel d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap et d’inaptitude 2017-2019 ».
Ce document de 48 pages n’est pas accessible, a priori, sur le site même du ministère de l’éducation nationale. On peut le télécharger via le site de l’Institut des Hautes Etudes de l’Education et de la Formation (IH2EF). Mes nombreuses recherches ne m’ont pas permis de savoir si un nouveau plan pluriannuel a été défini pour 2020 et les années à venir.
En préambule, il est rappelé que si le regard porté sur l’emploi des personnes en situation de handicap a évolué, on le doit, en grande partie, à la mise en œuvre des Plans d’action ; le premier date de 2008.
Il apparaît ambitieux dans son contenu, ses objectifs et son esprit. La Directrice Générale des Ressources Humaines alors en fonction au ministère de l’éducation nationale souligne le devoir d’exemplarité qui lui incombe en tant qu’employeur public. Il doit « avoir une haute exigence en matière de non-discrimination et doit refléter la diversité de la société parmi ses personnels. Par sa mission éducative, [il] a également la responsabilité de montrer que le handicap n’est pas un obstacle à l’emploi et qu’il ne doit pas être cantonné aux fonctions les plus simples. »

Le sommaire dénote une volonté d’agir dans de nombreux domaines, sans négliger l’innovation.
1. Présentation du ministère de l’éducation nationale (1 page)
2. Définition du projet et présentation de la politique « handicap » (2,5 pages)
3. Gouvernance et organisation du projet (4 pages)
4. Accessibilité (2,5 pages)
5. Plan de recrutement (3,5 pages)
6. Plan de maintien dans l’emploi (3 pages)
7. Plan de communication, de sensibilisation, d’information des personnes en lien avec les agents en situation de handicap (4,5 pages)
8. Innovation (1 page)
9. Indicateurs (0,5 page)
10. Effectifs (3 pages)
11. Convention FIPHFP (0,5 page)
Cependant, on est rapidement frappé par la différence de taille – d’importance ? – des différentes parties et de leur valeur inégale.
. Une seule page est consacrée à l’innovation et la plupart de ses items font l’objet d’un simple renvoi à d’autres rubriques du Plan. La seule « véritable » innovation consiste à réactiver une idée, certes intéressante, mais déjà ancienne : l’Entreprise d’Entraînement Pédagogique (EEP).
Une vitrine attrayante
. Le volet « Plan de communication » occupe la place la plus importante (presque 5 pages), ce qui peut susciter quelque inquiétude lorsqu’il s’avère que le « faire savoir » prime sur le « savoir-faire ». Une politique réaliste et efficace ne peut se fonder prioritairement sur son plan de communication, aussi ambitieux soit-il.
. La partie réservée à la « présentation de la politique handicap » (2,5 pages) aurait mérité un développement plus important. Elle ne répond pas à l’ambition annoncée dans le préambule et aux moyens mis en œuvre pour le plan de communication. Il y est clairement annoncé que « le ministère n’a pas réalisé de diagnostic global sur sa politique handicap ». Or, il peut sembler incohérent de définir une politique ambitieuse et réaliste sans pouvoir s’appuyer sur un tel bilan. En outre, consacrer une page entière aux partenariats invite à s’interroger sur la place et la consistance des actions internes directement et pleinement menées par le MEN lui-même. Ces doutes légitimes sont notamment corroborés par la nature du partenariat avec le Défenseur des Droits (DDD) puisque ce dernier est sollicité pour collaborer à la formation des personnels en matière de lutte contre les discriminations. La démarche est louable puisqu’elle est en parfaite adéquation avec les principes fondamentaux qui encadrent la loi et la conception d’une société réellement inclusive. Mais elle est également révélatrice des dysfonctionnements actuels reconnus à demi-mots par l’institution : « le principe de non-discrimination est souvent mal connu dans son intégralité, ce qui peut conduire à des erreurs d’appréciation des situations ». Cette préoccupation a le mérite de répondre au constat que le DDD a établi dans le « bilan de la Charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique » en 2015. Il est, cependant, regrettable que de telles « erreurs d’appréciation » à l’égard de personnes fragilisées persistent 20 ans après la directive européenne relative au handicap, 15 ans après la loi de 2005 sur le handicap et 14 ans après la CIDPH. Il relève, par exemple, que l’inaction et le manque de réactivité de certains employeurs publics, tend à aggraver considérablement la situation [des personnes handicapées] et constitue une source de discriminations inacceptables. » (p. 86)

Le rôle pivot du correspondant handicap
Le Plan pluriannuel consacre également, à juste titre, une place importante à la « gouvernance » de la politique handicap. Le rôle central du correspondant handicap – sous l’autorité directe du Directeur des Ressources Humaines académique – est confirmé. La qualité et l’efficacité de son action sont inhérentes à une professionnalisation de la fonction et une formation adaptée. L’ouvrage « Inclure sans stigmatiser – Emploi et handicap dans la fonction publique » (sous la direction de Marie-Renée Guével, Presses de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, en partenariat avec le FIPHFP, 2018) insiste sur la place déterminante de ce nouveau métier au service de la politique d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Il souligne également la diversité et la complexité de ses missions, dont la plus contraignante réside, sans aucun doute, dans la nécessaire collaboration interprofessionnelle (cf. schéma ci-dessous)

. En ce qui concerne l’objet-même de cette étude (le maintien dans l’emploi), deux parties fournissent des renseignements intéressants mais symptomatiques. Tout d’abord, le niveau des dépenses relatives à l’accessibilité du poste de travail (prolongement de l’aménagement du poste) pour la période 2013-2016 est étonnamment faible eu égard à la taille de l’employeur (2013 = 7 420 € ; 2014 = 8 901 € ; 2015 = 30 441 € ; 2016 = 25 406 €). Selon le MEN lui-même, 1 145 300 agents étaient en fonction en 2018-2019. Seules 9,9 % de ces dépenses ont été consacrées au handicap visuel. Quant à l’accessibilité numérique, elle n’est pas encore garantie. Sa mise en œuvre « génère un coût très important, [elle] s’opère [donc] de manière progressive. »
Le ministère de l’éducation nationale a bien conscience qu’agir sur le recrutement pour atteindre les 6 % est insuffisant. Une étude Sofres de 2008 démontre que « 70 % des personnes handicapées en poste n’étaient pas porteuses d’un handicap au moment de leur recrutement. C’est donc bien au sein de cette population que la marge de progression est la plus importante. » En l’occurrence, le Plan pluriannuel présente, sous forme de tableau, le nombre de recrutements de personnes handicapées entre 2013 et 2016. Au cours de ces quatre années, on enregistre 2 093 recrutements, soit une moyenne annuelle de 523,25. En prenant comme référence les données de 2016, pour atteindre les 6 % avec une telle moyenne, il faudrait presque 52 ans. On mesure, dès lors, en effet, l’intérêt d’une politique de maintien dans l’emploi efficace.
Somme toute, le Plan de maintien dans l’emploi ressemble plus à un rappel du cadre existant ou un catalogue des mesures applicables qu’à une stratégie qui permettrait d’en améliorer la mise en œuvre. C’est pourtant bien ce levier qui pourrait faire évoluer sensiblement le regard porté sur le handicap et l’ensemble de la politique « handicap » du MEN.
Le rôle initial du médecin de prévention est évidemment rappelé dans la définition des aménagements de poste, tout comme la place centrale du correspondant handicap dans la mise en œuvre. Le plan précise – de façon explicite, cette fois – qu’ils « peuvent être très variés : aménagements matériels, organisationnels, assistance humaine, trajet domicile-travail, traduction LSF… » Enfin, est mentionnée l’existence du catalogue des interventions publiées par le FIPHFP qui les liste.
C’est finalement peu pour un dispositif qui peut être considéré comme axe prioritaire de la politique « handicap » du ministère de l’éducation nationale. Sont ajoutées, ensuite, les conditions prioritaires de la mutation des personnels handicapés en général et quelques éléments particuliers concernant les personnels de direction. Le plan annonce, par exemple, que « le service de l’encadrement s’engage à recevoir individuellement, dans le cadre de la préparation du mouvement, les personnes en situation de handicap qui en feraient la demande afin d’assurer un suivi personnalisé de leur projet ».

Le point suivant aborde le dispositif des postes adaptés mis en place par le décret n°2007-632 du 27 avril 2007 qui concerne les personnels enseignants du secteur public exerçant dans les 1er et 2nd degrés, ainsi que les personnels d’éducation et d’orientation qui rencontrent des difficultés professionnelles pour raisons de santé. Des mesures d’accompagnement personnalisé complètent ce dispositif : aménagements matériels du poste de travail, allègements de service, affectations sur poste adapté de courte durée (PACD) ou sur poste adapté de longue durée (PALD). Quelques difficultés rencontrées dans sa mise en œuvre nécessitent qu’il soit « revu et complété » pour s’adapter à des situations qui ne rentrent pas dans son champ d’application actuellement.
Enfin, l’accompagnement spécifique du handicap psychique et le reclassement sont abordés. Et, le « Plan de maintien dans l’emploi » se conclut sur le thème de la prévention abordée sous l’angle de la rédaction des documents uniques d’évaluation des risques (DUER) comme priorité des orientations stratégiques ministérielles.

Besoin d’un état des lieux et d’outils d’évaluation
De nouveau, on peut regretter que l’évolution des chiffres relatifs à l’emploi des personnes handicapées au MEN ne soit pas présentée dans ce plan pluriannuel. Cela aurait permis de mesurer l’efficacité de la politique « handicap » menée depuis 2008 et de mettre en perspective les engagements chiffrés. Les bilans annuels évoqués à la page 6 du plan pluriannuel sont adressés – semble-t-il – aux représentants des personnels, mais ne sont pas accessibles au public. Aucune consolidation des données statistiques n’est donc actuellement disponible. Elles sont éparses et parfois différentes selon les sources (Mission à l’Intégration des Personnels Handicapés, Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance, Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique, Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique, Direction de l’Animation, de la Recherche, des Etudes et des Statistiques…). Dans son rapport de juin 2018, Dominique Gillot, alors présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, souligne l’incohérence qu’il y a à définir et mener une politique en faveur de l’emploi des personnes handicapées sans avoir de données fiables et croisées sur les plans qualitatif et quantitatif. Elle estime, à juste titre, que ce vide « empêche d’avoir une réelle visibilité des enjeux et limite la portée des préconisations à formuler ».
Pour conclure, il est donc pertinent de proposer, a minima, la « consolidation » des données relatives au taux d’emploi des personnes handicapées à l’éducation nationale (cf. tableau et graphique ci-dessous).

Sans qu’il soit nécessaire de revenir sur la faiblesse des résultats du MEN en matière d’insertion professionnelle des personnes handicapées présentée dans l’article “Handicap et travail : des chiffres bavards“, on mesure, ici d’autant mieux, le chemin qui reste à parcourir pour atteindre le taux de 6 % fixé par le législateur depuis 1987 – pour le secteur privé comme pour le secteur public (la seule différence est que la fonction publique ne sera soumise à une contribution financière en cas de non atteinte du taux de 6 % qu’après la loi du 11 février 2005). En outre, il est troublant de constater que, sans l’éducation nationale, la fonction publique d’Etat est très proche de l’objectif et fait aussi bien que la fonction publique hospitalière.

Pédagogie par l’exemple ?
La gêne s’ajoute au trouble en comparant la situation de chaque ministère : l’éducation nationale (3,62 %) et les services du Premier ministre (3,44 %) sont « les derniers de la classe » (cf. tableau ci-dessous). Pour information et à titre de comparaison, le taux d’emploi indirect des entreprises privées a été estimé à 3,9 % en 2017. Même si les modes de calcul ne sont pas tout à fait identiques dans la fonction publique et dans le secteur privé, ces données ont au moins le mérite de réaliser l’importance des faiblesses et de marquer la position très particulière de l’Education Nationale.

Il aurait également été très intéressant d’analyser plus spécifiquement les chiffres relatifs au maintien dans l’emploi des personnels en situation de handicap (effectif, part dans les effectifs du MEN, part dans les effectifs des personnels en situation de handicap, évolution sur plusieurs années…). Cependant, malgré de nombreuses recherches, il s’avère que ces données ne sont pas accessibles au public – ou n’existent pas (?). En tout état de cause, ni l’obligation légale, ni le « devoir d’exemplarité » souligné par le Plan pluriannuel ne sont remplis. Dans son rapport 2018, la Médiatrice de l’Education Nationale consacre plus de 60 pages aux personnels en situation de handicap. Elle relève, elle aussi, “la nécessité d’une prise en charge plus transparente et plus humaine, la réticence à déclarer son handicap, le labyrinthe des procédures médicales et administratives, des conditions d’accueil qui peuvent être déficientes, le handicap invisible comme réalité parfois suspectée…”
Pourtant, pour l’essentiel, le cadre réglementaire est établi – même s’il est méconnu et mériterait d’être adapté au droit supranational ; il gagnerait également à faire l’objet d’une mise à jour régulière en intégrant, par exemple, la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et les dispositions relatives à la Période de Préparation au Reclassement intégrées à la loi 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la Fonction Publique de l’Etat. La réalité du plan de communication est indéniable et la volonté du ministère, clairement affichée. Alors, est-ce la politique ministérielle qui est inadaptée ? Les moyens seraient-ils insuffisants ? Ou serait-ce plutôt la mise en œuvre par les acteurs qui ferait défaut ? Les « particularités » des métiers de l’enseignement (*) seraient telles qu’une personne en situation de handicap ne pourrait y satisfaire ?
En tout état de cause, tant que le MEN ne règlera pas la question pertinente des causes réelles et profondes de son faible taux d’emploi des personnes handicapées, les conditions de l’évolution du regard porté sur les agents handicapés ne seront pas réunies. Il considère que le faible nombre de déclarations est dû à la « réticence des agents à se déclarer ». Il serait temps, maintenant, qu’il se demande si les réticences ne seraient pas la conséquence de facteurs structurels propres à son histoire et son organisation, ainsi que l’effet indésirable des mentalités et pratiques des agents chargés de la mise en œuvre de sa politique. C’est ce que j’essaierai de démontrer dans les prochains articles en présentant mon parcours personnel et celui d’autres agents au sein de notre institution scolaire.
(*) Agnès Gindt-Ducros, sociologue et médecin de santé publique, signale que peu de travaux s’intéressent à l’emploi des enseignants en situation de handicap. Elle évoque des caractéristiques qui relèvent, en grande partie de stéréotypes et de réflexes culturelles qui sont souvent, dans les faits, des freins à l’accueil de personnes handicapées. Elle estime qu’il faut s’appuyer « sur les valeurs de l’Ecole de la République » pour considérer l’insertion professionnelle des personnes handicapées au même titre que la scolarisation des élèves handicapés. « Les collectifs et l’emploi des enseignants en situation de handicap », in « Inclure sans stigmatiser – Emploi et handicap dans la fonction publique » (dir.) Marie-Renée Guével, Presse de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, avec la collaboration du FIPHFP, 2018, p. 61 et s.
